Chaque année, de nombreuses chauves-souris frugivores périssent dans des filets censés protéger les récoltes. Une politique de compensation mal conçue qui aggrave le problème qu’elle prétend résoudre, selon l’ornithologue Narainsamy Ramen.
Chaque matin avant l’aube, le même spectacle se répète dans les vergers et jardins. Des litchis et des mangues jonchent le sol, à peine mordus puis abandonnés. Sur les trottoirs, les fruits fermentent au soleil. Dans les filets tendus entre les branches, des de roussettes agonisent, parfois des mères avec leurs petits encore accrochés sous leurs ailes. « Des chauves-souris capturées avec leurs petits, ce n’est pas de la gestion, c’est de la cruauté », dénonce Narainsamy Ramen, ornithologue formé par la Royal Air Force et observateur de la faune mauricienne depuis des décennies.
Le paradoxe est cruel : pour sauver leurs récoltes, les Mauriciens sont en train de décimer l’espèce même qui assure la reproduction de leurs arbres fruitiers. Les roussettes, seuls pollinisateurs longue distance et principaux disperseurs de graines de l’île, se retrouvent piégées dans un système de protection qui dysfonctionne. Résultat : les fruits continuent de pourrir au sol, et les chauves-souris meurent en masse.
« Chaque année, je documente des trottoirs recouverts de litchis, des mangues à tous les stades de maturité éparpillées sur le béton, et tout aussi fréquemment, je vois des chauves-souris piégées dans les filets, parfois des dizaines dans un seul arbre », témoigne Narainsamy Ramen. Mangues, litchis, longanes, jamblons, papayes : ces fruits qui abondaient autrefois sur les marchés mauriciens et nourrissaient les foyers disparaissent bien avant leur maturité. « Le problème n’est pas ce que les chauves-souris mangent, mais ce qu’elles détruisent », résume l’ornithologue.
Les familles perdent, en effet, une ressource saisonnière vitale, les agriculteurs voient leurs revenus s’effondrer et les propriétaires de vergers affrontent une frustration quotidienne. Quant à l’ampleur du gaspillage, il reste invisible au grand public car les charognards ramassent la plupart des fruits avant midi.
Face au nombre croissant de roussettes dans les zones urbaines et agricoles – ce qui n’était autrefois qu’une présence limitée représente désormais des groupes de centaines d’individus – le gouvernement a instauré un système de compensation encourageant le filetage des arbres. Mais la politique s’est transformée en catastrophe écologique, affirme l’ornithologue. La compensation a été distribuée sans formation, sans normes, sans supervision, sans exigences de maintenance ni garanties écologiques.
Conséquence : des filets installés sont mal tendus ou affaissés, troués et déchirés. Leurs mailles, inadaptées, laissent entrer les chauves-souris sans issue de sortie, piégeant leurs ailes et leurs membres. Laissés sans inspection pendant des mois, ils deviennent de véritables pièges mortels. Le drame est d’autant plus grave que les roussettes ne produisent qu’un seul petit par an. Chaque mère piégée représente deux générations anéanties et toutes celles qu’elle aurait pu engendrer, explique Narainsamy Ramen. Pendant ce temps, 70 à 80 % des fruits continuent de tomber prématurément.
Traiter le symptôme plutôt que la cause
Pour Narainsamy Ramen, le gouvernement commet une erreur de diagnostic fondamentale. Les chauves-souris ne s’installent pas dans les espaces habités par hasard. Leur déplacement reflète la perte de zones d’alimentation naturelles, la déforestation, la raréfaction des fruits indigènes et la concentration des ressources alimentaires dans les zones habitées. « Le gouvernement a répondu au symptôme – les dégâts sur les fruits – au lieu de traiter la cause liée à la réduction des habitats. C’est pourquoi, année après année, la situation empire », fait-il ressortir.
Surtout, la politique actuelle ignore le rôle écologique crucial des roussettes. Ces chauves-souris frugivores sont les principaux pollinisateurs longue distance et les grands disperseurs de graines des espèces fruitières indigènes et cultivées. « Chaque verger de Maurice existe indirectement grâce aux chauves-souris qui ont autrefois dispersé les graines ou pollinisé les arbres parents. Pourtant, la réponse politique les a traitées comme des nuisibles plutôt que comme des partenaires », déplore Narainsamy Ramen. En piégeant et en tuant un grand nombre de femelles reproductrices et de jeunes, Maurice détruit l’espèce qui garantit ses cycles fruitiers futurs.
L’ornithologue ne se contente pas de dénoncer. Il propose plusieurs solutions concrètes : établir des normes strictes pour les filets et imposer des inspections régulières ; privilégier un filetage partiel et ciblé uniquement pendant la période de fructification maximale ; recourir à des méthodes alternatives comme les dispositifs ultrasoniques, les répulsifs visuels ou les éclairages stratégiques, qui réduisent les visites des chauves-souris sans les tuer. Surtout, il préconise de restructurer le système de compensation pour récompenser l’installation correcte des filets et leur entretien régulier, plutôt que de financer aveuglément leur pose. À plus long terme, restaurer les forêts indigènes et établir des corridors alimentaires éloignés des zones habitées fournirait des sources alternatives de nourriture et réduirait la pression sur les vergers, ajoute-t-il.
L’urgence est réelle. Si les roussettes continuent de mourir au rythme actuel, la pollinisation chutera, réduisant directement les rendements agricoles. Les roussettes sont aujourd’hui parmi les derniers disperseurs de graines fonctionnels à Maurice. Sans elles, les forêts ne peuvent pas se régénérer naturellement. « Chaque chauve-souris mourant dans un filet supprime un travail écologique essentiel que les agriculteurs ne peuvent remplacer artificiellement », rappelle Narainsamy Ramen.
Maurice est à la croisée des chemins, insiste-t-il : continuer sur cette voie conduira à un déclin simultané des chauves-souris et de la production fruitière du pays.
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